Les élèves du programme Be United Nations rencontrent un ancien Ambassadeur

Dans le cadre de la venue de Mr Jacques Huntzinger pour une conférence sur les « Femmes artisanes de paix en Méditérannée », les élèves du programme Be United Nations ont pu rencontrer et interviewer cet ancien Ambassadeur :

Vous avez successivement été enseignant en université, maître de conférences, vice-président du parti socialiste européen, membre du Conseil économique et social, Directeur-Adjoint à l’ONU sur le désarmement, chargé de mission du ministre des Affaires Etrangères, conseiller diplomatique du Secrétariat Général de la Défense nationale, ambassadeur en Estonie, ambassadeur en Macédoine, ambassadeur en Israël et enfin ambassadeur en mission auprès de l’Union pour la Méditerranée. Vous avez été élevé au rang d’officier de la Légion d’Honneur le 14 avril 2017. Imaginiez-vous, votre diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris en poche, mener une carrière aussi brillante que fulgurante ? Comment l’expliquez-vous ?

J.Huntzinger : Il me semble que le plus important est de ne se fermer aucune porte. Mon principal atout a ainsi été, je le pense, mon esprit d’ouverture qui m’a permis de jongler entre plusieurs mondes à la fois tout au long de ma carrière. J’ai ainsi pu exercer une activité politique intense de 1980 à 1990 qui a fait suite à environ 25 ans d’enseignement universitaire pour enfin me retrouver à travailler pour le Quai d’Orsay. Je pense que la vie, à l’image de la mienne, est faite de choix mais aussi de la conjoncture dans laquelle on fait ceux-ci.

Pouvez-vous nous faire part de votre expérience en tant qu’ambassadeur de France lors de la crise du Kosovo ?

J.Huntzinger : Tout d’abord, il faut savoir que j’étais ambassadeur de France en Macédoine lorsque la crise du Kosovo a éclaté. Je « sentais » depuis un bout de temps que ça risquait de « péter » là-bas, c’est un rôle primordial de l’ambassadeur de savoir sentir les choses, de savoir saisir les tensions qui existent. Lorsque la guerre a éclaté, l’ambassadeur en Yougoslavie, qui aurait normalement dû aller se rendre compte de la situation sur place pour la France n’a pas été en mesure de le faire car les autorités yougoslaves ne l’autorisaient pas à sortir de Belgrade. J’ai donc été nommé : « Représentant spécial de la France au Kosovo » par Jacques Chirac et je suis allé sur place avec mon homologue américain. J’ai ainsi été la première source française d’information sur ce qui se passait là-bas.

Ensuite, étant un intime de Bernard Kouchner, j’ai su à quel point la transition kosovare a été mal réalisée, amenant à l’avènement d’un Etat qu’on pourrait dire « en faillite », c’est-à-dire qui n’a pas la capacité tant matérielle qu’humaine de se relever seul des problèmes économiques, de criminalité… qui le rongent.

Pouvez-vous nous éclairer quant au rôle que vous avez joué lors de l’élection présidentielle de 1981 dans le camp mitterrandien ?

J.Huntzinger : Lors de la présidentielle, j’étais conseiller de François Mitterrand au Moyen-Orient et conseiller à la Stratégie et à la Défense, deux domaines pour lesquels le Parti Socialiste n’était pas du tout prêt à gouverner. Ainsi, j’ai dû « convertir » François Mitterrand au principe de dissuasion nucléaire, en effet, il était contre ce principe par peur et haine de l’arme nucléaire et j’ai dû lui faire comprendre son importance et sa capacité à pacifier le monde. D’autant que toutes les grandes puissances avec lesquelles nous avions à parler étaient dotées de la bombe nucléaire. J’ai ensuite dû faire changer la vision socialiste du conflit israélo-palestinien, qui était très sioniste et qui refusait de reconnaître au monde arabe une légitimité et de dialoguer avec lui. J’ai donc dû faire comprendre l’importance du dialogue avec le camp arabe. Enfin, j’ai participé à la mise en place d’une coopération franco-allemande sur la sécurité et la Défense, laquelle Allemagne était dirigée par le SPD à l’époque (Parti Socio-Démocrate allemand), qui était notre allié mais que nous avons dû convaincre de l’importance d’une coopération avec les Etats-Unis, tout en préservant notre autonomie.

Comment appréhendez-vous aujourd’hui les résultats de la Présidence de François Mitterrand, dans laquelle vous vous êtes largement impliqué ?

J.Huntzinger : La plus grande victoire de ces deux septennats est et restera, à mon sens, la suppression de la peine de mort en 1981. Ensuite, il est certain, à la lumière du recul que l’on peut prendre aujourd’hui, que la politique économique socialiste était dépassée, n’étant plus adaptée aux nouveaux défis apportés par la mondialisation. L’exemple des nationalisations d’entreprise est très représentatif de ces retards dans la manière d’envisager l’économie de demain. Enfin, la politique culturelle menée par Jack Lang est une fierté de la gauche qui a su rendre à la culture française ses lettres de noblesse. Néanmoins, dès le début du septennat, c’est la question de ce qu’est le socialisme français qui a commencé à se poser, question qui se pose toujours aujourd’hui d’ailleurs.

Mr Huntzinger (à droite) répond aux questions des élèves de Be United Nations

Comment avez-vous perçu le fonctionnement de l’organisation des Nations Unies la première fois que vous l’avez découvert, et par la suite, une fois que vous travailliez à l’élaboration d’un projet de désarmement ?

J.Huntzinger : Le système onusien m’a semblé être une grosse machine difficilement pénétrable au premier abord, mais qui est devenue de plus en plus accessible au fur et à mesure que j’y ai travaillé et vécu ». Ensuite, l’ONU est la seule Institution Universelle ; c’est-à-dire qu’elle garantit l’égalité juridique parfaite à tous ses Etats membres, d’où la complexité et la lenteur consécutive de ses décisions. Un peu à l’image du Monde réel, en fait. Elle est une sorte de préfiguration d’un Monde universel qui vise à mettre en place une action, la plus universelle donc, mais aussi la plus efficace possible.

 

Pensez-vous qu’une solution soit envisageable dans le cadre du conflit israélo-palestinien ?

J.Huntzinger : La situation en Israël est au point mort depuis 2008. Les accords d’Oslo ont été signés en 1992, mais ils ont été remis en question par les deux Intifada successifs à partir de 2000. Ensuite, plusieurs Premiers ministres ont essayé de faire bouger les choses comme Yitzhak Rabin, mais il a été assassiné. Puis Ariel Sharon qui fait partie de cette vieille génération de sionistes qui ont compris l’intérêt d’arrêter la colonisation de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie, mais qui a été foudroyé par la maladie. Aujourd’hui, le 1er Ministre Benjamin Netanyahou, qui fait partie de l’extrême-droite israélite, ne croit plus à la solution à deux Etats. Celle-ci reste néanmoins une solution qu’il faut continuer d’affirmer car c’est la seule envisageable. La France a, à mon sens, un rôle à jouer dans ce conflit. En effet, elle est la puissance la plus reconnue par les deux camps, à la suite des Etats-Unis, mais qui se sont « grillés » auprès des Palestiniens en reconnaissant Jérusalem comme étant la capitale d’Israël. Nous pouvons donc, de plus que la diplomatie discrète, voire secrète, que nous menons actuellement, mettre en place un nouveau dialogue pour enfin arriver à une solution d’avenir pacifique.

Comment L’Union pour la Méditerranée, dont vous avez été un des instigateurs, est-elle financée ? A-t-elle un pouvoir contraignant sur ses membres ?

J.Huntzinger : Non, elle n’a aucun pouvoir contraignant sur ses membres. Les seules institutions internationales ayant un certain pouvoir contraignant sur leurs membres sont l’ONU et l’Union Européenne. En réalité, cette Union a été ratée par rapport à l’esprit qui l’avait insufflé au départ. Elle s’est ainsi peu à peu transformée en une antenne de l’Union Européenne, dont elle tire tous ses fonds, spécialisée dans les problématiques méditerranéennes. Son secrétariat est composé d’une vingtaine de personnes et est basé à Barcelone.

Propos recueillis par Mickaël ARLIN, élève de Première ES1 et membre de Be United Nations.

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